Ukraine, la mort dans l’âme


Ukraine, la mort dans l’âme

 

La guerre en Europe, on n’y pensait plus. Elle fait effraction dans nos vies et elle briserait notre vision humaniste du monde sans le sacrifice héroïque des Ukrainiens. La rétractation identitaire et la tentation impérialiste frappent à nos portes avec la puissance aveugle d’un bélier. Bastia, terre promise de l’Europe culturelle, ne peut pas céder à la résignation sans prendre le monde à témoin avec le regard des valeurs qu’elle porte depuis la nuit des temps.

Que nos pensées prennent aussi les armes !

Comment ? En proposant à des photographes épatants de talent et d’audace, bardés de prix internationaux, des artistes, grands reporters, acteurs visuels ou objecteurs de conscience, de venir exposer à L’Arsenal, de la mi-juin à la septembre 2023, « leur » guerre de l’Ukraine. Des angles de vue très différents en esthétique et en émotion, depuis la manifestation pacifique de la place centrale de Kiev de l’hiver 2013/2014 au massacre de Bucha de 2022.

La décennie qui sépare l’humanisme de l’inhumanité.

L’exposition s’ouvre avec Maxim Dondiuck, le photographe qui a fouillé les entrailles maudites de Tchernobyl. Ses plans larges, place de l’Indépendance de Kiev, sont à couper le souffle. L’esthétique de la noirceur qui surgit du face à face entre les manifestants pacifiques et le mur de boucliers policiers sont les prémices des abominations à venir. Elle se boucle dix ans plus tard, sous les épaisses semelles de Véronique de Viguerie engluées dans les lacs de sang de Bucha, cité-martyre qui suinte les tortures, les viols, les exécutions de masse. Les images cruelles et crues d’un crime contre l’Humanité.

Entre les deux, Édouard Élias, le photographe qui avait embarqué en mars 2016 sur l’Aquarius, ce bateau rempli de migrants naufragés, en errance en Méditerranée, que le président du Conseil exécutif de Corse avait proposé d’accueillir. Cette fois, le reporter nous entraîne avec lui en immersion dans ce que l’on croyait à jamais révolu depuis la Somme et la Meuse en 14-18 : les tranchées ! Les tranchées qui enterrent avant de mourir.

Entre les deux, Guillaume Herbaut révèle beaucoup de ce qui, de cette décennie, est resté invisible aux Occidentaux, la cohabitation impossible et d’une brutalité physique et morale inouïe dans le Dombass entre légitimistes pro-ukrainiens et séparatistes pro-russes. Des scènes édifiantes de la poigne hégémonique de Poutine. Des photos qui ont le bruit du métal.

Entre les deux, Éric Bouvet, le photographe de l’humain. Une narration qui prend aux tripes de l’exode forcé, de la séparation des familles, de la détresse dont se parent les traits d’un enfant perdu ou d’une grand-mère en larmes. Ses photographies ont les couleurs vives de la persécution et de la survie.

L’exposition aura aussi une vision décalée du conflit. Celle de Antoine d’Agata, globe-trotter atypique et transgressif, qu’une grenade lacrymogène a amputé d’un œil. Un photographe documentaire qui se nourrit des peurs et des désirs des autres. En Ukraine, il dissèque au scalpel de son objectif la dévastation et la mort, les instruments de torture, les tortionnaires, les charniers. Les clichés noir et blanc de l’autopsie d’un meurtre développés dans une chambre froide. La vision clinique d’une Ukraine éviscérée loin, très loin même, de l’intelligence artificielle des satellites qui ont vu la guerre avant les médias via les processions de chars louvoyantes comme des serpents vénéneux. Des images satellitaires seront révélées au public.

« Une démocratie qui n’est pas une fraternité est une imposture ». La phrase est extraite des « Écrits de guerre » de Saint-Exupéry.

Cette exposition a bien vocation à arborer le brassard de la fraternité.
Jean-Marc Raffaelli
Christian Buffa, commissaire de l'exposition

 

 

 

  • Année2023