PIRATES


 

« Pirates»

De l’imaginaire au réel

 

 

De l’imaginaire au réel.

Les pirates existent. Ils ont traversé les siècles comme, jadis, ils traversaient les mers et les océans déchaînés. Ils ne se confinent pas dans les épopées littéraires, ils ne tournent pas en rond sur l’auréole de leur mythe. Ils renaissent de leur âge d’or, captifs à leur tour dans les cales mouillées de la mémoire maritime ou, tout au contraire, partent à l’abordage de notre présent pour le tourmenter, troquant l’idéal de leur code d’honneur contre la cruauté sanguinaire des pillages et des carnages. L’exposition éminemment saline proposée ici a l’apparence d’une médaille. Une « face » historique mâtinée d’allégorie qui ressuscite les corsaires et les flibustiers bretons tels qu’ils ont chevauché les XVIIe et XVIIIe siècles comme deux hautes vagues écumant de rage. La face du lumineux portraitiste Stéphane Lavoué. Le « revers », puissant et inouï, est décoché avec la force d’un uppercut par Véronique de Viguerie, le revers des pirates des temps modernes qui sévissent au large de la Somalie et du Nigeria, pourvoyeurs de crimes, d’atrocités et de… photographies qui coupent le souffle avec le tranchant des sabres qu’ils brandissent pour tuer et mutiler.

De l’imaginaire au réel.

Stéphane Lavoué et Véronique de Viguerie, deux photographes de renom pour deux univers antagoniques que tout oppose, le temps, l’espace, l’action.

Ici, l’antipode artistique est la distance insondable qui sépare l’image d’Épinal des bandits légendaires, hôtes inlassables de notre imaginaire collectif, de la représentation incandescente des hors-la-loi de mer dont les embarcations ne sont pas des trois-mâts altiers mais des pneumatiques rapides, souillés de suie et de rapacité bestiale. Les flibustiers épris d’aventures à la Jack Sparrow avec le bandeau noir, le sarouel immaculé et le pistolet à silex à la ceinture rouge ont pour lointains héritiers illégitimes des individus communs, pêcheurs, paysans ou désœuvrés, en treillis élimés, rangers usés, chapeaux de brousse informes et fusil d’assaut kalachnikov à la bandoulière. L’arbre de leur généalogie respective n’est pas nourri à la même sève. Mais l’exposition s’accroche à toutes les branches car l’arborescence des émotions se ramifie comme des graines fertiles.

De l’imaginaire au réel.

Mais réel et imaginaire ne se tournent pas le dos, ils forment un tout indissociable. Ils sont deux lieux familiers de la vie. Tout ce qui est imaginable est réel et le réel dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Il en va ainsi des pirates car passer d’une rive à l’autre, de Stéphane Lavoué à Véronique de Viguerie, c’est prendre conscience que la vérité est dans l’imaginaire et que, quelque part, l’imaginaire est un antidote au réel.

Avec l’art et la manière mais, plus encore, la manière de l’art de ces deux grandes personnalités de la photographie, l’exposition « Mare furioso » révèle qu’au-delà du réel et de l’imaginaire, il y a le profond. Et elle invite donc à une plongée en apnée, esthétique et didactique, poétique et barbare. Dont on n’est pas sûr de sortir tout à fait indemne quand on remonte à la surface…

Jean-Marc Raffaelli

Commissaire de l’exposition, Christian Buffa

 

 

 

 

 

 

  • Année2022