Une île

L’île de Christian Buffa
D’où vient la cruauté de ces images floues, hésitantes, figées dans une noirceur poudrée ? Ces hommes dressés, pesants, gauches dans leur immobilité, de quelle violence sont-ils les gardiens ? La mère, pourtant, est là. Elle voudrait dire l’ouverture, offrir le partage. Mais ces mains de femme d’une autre image, mains sans visage, sont croisées, fermées, crispées. Elles disent la fermeture de l’île, bouche cousue et déni. On croit qu’elle va nous parler, la femme, elle se tourne vers nous, elle va sourire. Mais,non. Il ne reste qu’un regard fugitif de regret, excuse muette devant la désolation des pierres. D’où viendra le salut ? Comment se dira la vie de la nature ? Que nous diront les arbres ? Il y a bien un cyprès, arbre de mort : il se tord en face de l’homme. Quant à ces souches  des arbres coupés, ils disent la violence des hommes et la violence de l’eau, au loin. Peut-être un barrage et l’eau s’est retirée ? Alors, peut-être faudra-t-il se tourner vers les pierres ordonnées ?  Ces pierres des constructions, les pierres œuvres des hommes ? La petite maison dressée, à côté de l’homme dressé, va-t-elle nous dire la vie de la campagne, la famille, le troupeau … ? Mais non, décidément. La table dressée est vide, les chaises poussées sous la table refusent le repos. Les volets sont fermés, à l’hôtel. Que s’est-il passé ? La voiture est une épave, mais il reste des ponts pour franchir les obstacles du malheur. D’autres images derrière ces images ? Des hommes encore assez jeunes pour reconstruire. S’ils le peuvent. Ou alors quitter l’île. Partir pour pouvoir vivre, enfin. Ou mourir pour partir, enfin.
Anne Mestersheim, sociologue

  • Année2014